Localisation de l'entrée de la caverne en 1952

Dans le carnet de Jacques Durand, il est noté en page un: "La caverne est située au 4379 chemin St-Léonard, environ 0,7 mille à l'est de Pie-IX. L'accès à la terre se fait par chez la terre de Mr Bleau au 4371 chemin St-Léonard. L'entrée de la caverne est à environ 0,7 mille au nord".

En fait, l'entrée actuelle est plus précisément dans le parc Pie-XII à 1,32 km de la rue Jarry E.

Ci-dessous une paire stéréo de deux photos aériennes (18-48  et  18-49); à la bordure des images, j'ai placé des petits repères en violet qui pointent vers le lieu où est visible l'entrée de la caverne:

On distingue nettement sur les photos aériennes de l'époque (les deux ci-dessus datent de 1947) la dépression qui est juste à l'entrée de la caverne. Si vous êtes familier avec la vision en stéréo, vous distinguerez nettement également ci-dessus que cette entrée naturelle se situait juste à la limite sud d'une petite zone en relief. Ce relief a une altitude de quelques mètres par rapport à l'élévation des champs avoisinants. 

La figure ci-dessous montre une partie de la carte des anciens ruisseaux; J'y ai ajouté l'entrée de la caverne (point rouge) et le petit monticule dans le parc Pie-XII:


Entre le site de la caverne et le talweg qui marque l'emplacement d'un ancien ruisseau à environ 600m à l'ouest, il y a donc un dénivelé de plusieurs mètres.

Cet ancien ruisseau est visible ci-dessous un assemblage de photos aériennes, depuis le chemin St-Léonard en bas de l'image (rue Jarry actuellement) en remontant vers la caverne et un peu au-delà, jusqu'au ruisseau qui marque au fond des rangs la limite des champs cultivés, dans le haut de l'image ci-dessous:




Un relevé de la caverne datant de 1952

Voici des  photos prises par mon père Jacques Durand en 1952 lors d'une visite d'exploration et d'une première cartographie organisée par un groupe créé à l'époque par Jean-Paul Denis pour des activité d'études naturalistes. Les schémas qui montrent en plan et en coupe     la caverne sont des photographies du carnet de notes de Jacques Durand.


Jacques Durand est aussi la personne qui apparait debout tenant ce même carnet devant l'entrée de la caverne (cliquez sur l'onglet PHOTOS en haut de cette page).

L'entrée de la caverne telle qu'elle apparait maintenant; elle est très différente de l'entrée naturelle qui existait auparavant:


à comparez  avec la photo No 1  prise en 1952.

D'autres photos

(page en construction):

Voici une photo  en couleurs prise dans une cavité près du plafond dans la caverne St-Léonard montrant des stalactites (au centre) et des stalagmites (à droite) encore intactes :






























Jean-Paul Denis en arrière-plan et une autre personne non identifiée
Jean-Paul Denis et une autre personne en arrière-plan

Le site juste devant l'entrée de la caverne:

Photos contemporaines:






Photos

Quelques photos prises en 1952 lors du relevé fait par le groupe Les Amis de la Nature"


L'entrée naturelle telle qu'elle était en 1952. Pour entrer dans la caverne, il fallait se glisser à plat ventre les pieds en premier.


L'entrée naturelle telle qu'elle était en 1952; une personne est vue de dos à droite de la photo.



L'entrée naturelle telle qu'elle était en 1952; une personne est vue de dos à droite de la photo. N.B. Le négatif présentait des rayures verticales.




À droite l'entrée inclinée qui remonte vers la lumière de l'extérieur. À gauche c'est une zone éclairée par la lanterne.
L'entrée en forte pente avait un plancher formé d'une accumulation de débris et blocs de calcaires tombés depuis la voûte qui formait l'entrée de la grotte.





Photo qui correspond à la photo #3 dans le schéma de cartographie du boyau latéral.


Jacques Durand en auto portrait.


 


Il y a aussi à ce lien d'autres photos.

Glaciotectonique et géologie appliquée dans l’Île de Montréal

Congrès annuel de l'APGGQ  - 4e congrès, Hôtel le Quatre saisons, Montréal, 10-11-12 avril 1991
Comptes rendus du 4e Congrès de l’Association professionnelle des géologues et géophysiciens du Québec  - Les mines, le développement durable et l’environnement -  Collection Environnement et géologie, vol. 12, pp. 249-264.
Marc DURAND, doct-ing en géologie appliquée et géotechnique
 Département des sciences de la terre
Université du Québec à Montréal
Glaciotectonique et géologie appliquée dans l’Île de Montréal

Résumé
Les grands travaux de construction des vingt dernières années ont rencontré à quelques occasions des lambeaux de charriage glaciotectonique, qui ont déplacé et disloqué les premiers vingt mètres substratum rocheux.  Les formations apparemment les plus affectées par ces dislocations sont celles du Trenton, dans des zones de l’est et de l’ouest de l’Île de Montréal, là où la direction et l’inclinaison des lits ont permis à la poussée glaciaire de déplacer des strates en remontant le pendage.  Le cisaillement à la base du glacier continental a agi localement sur de minces horizons plastiques, qui se manifestent systématiquement, là où les déplacements ont été observés, comme des plans de glissement à la base des lambeaux charriés.  Les dislocations posent des problèmes géotechniques parfois très complexes, même si le déplacement n’a été en général que de quelques dizaines de mètres.
Malgré leur étendue de l’ordre du km2, les écailles ou lambeaux ne sont pas faciles à détecter par les méthodes de reconnaissance usuelles: la plus grande partie du roc se présente en conformité de pendage avec le roc non tectonisé en dessous.  Dans un forage ou dans une petite excavation, on ne peut les suspecter parfois que par la seule présence du plan de glissement, qui apparaît comme une mince couche d’argile silteuse plastique.  L’étirement latéral et la dislocation du roc par le déplacement au-dessus de cet horizon deviennent manifestes quand des travaux de chantier ouvrent des excavations importantes et mettent à jour le réseau de fractures ouvertes.  Ces fractures qui témoignent des mouvements relatifs entre des grands blocs apparemment intacts peuvent être ouvertes de quelques centimètres jusqu’à quelques mètres.  Dans les parties périphériques, on retrouve une fracturation plus importante accompagnée de plissements; le lambeau passe progressivement à mélange de till et de grands blocs, puis à un till normal.  La capacité portante d’un roc glaciotectonisé est éminemment variable de point en point: très élevée sur les blocs intacts, mais très faible dans les zones de fractures vides ou celles comblées de façon lâche par du till.  La perméabilité du massif disloqué présente les mêmes variations extrêmes.  Les travaux de construction de tunnels urbains sont particulièrement affectés par ces fortes variations qui occasionnent des fontis et des brusques venues d’eau à très grand débit.

Introduction
Le terme glaciotectonique (ou glacitectonique) se rapporte aux phénomènes de déformation de dépôts meubles ou de substratum rocheux, produits par la force de cisaillement engendrée à la base de l’écoulement des glaciers continentaux.  Le préfixe “glacio-” se rapporte aux phénomènes et processus qui découlent globalement de la glaciation, comme dans l’expression “les dépôts glaciomarins…”;  le préfixe “glaci-” désigne plutôt les processus liés au glacier directement.  Le second terme est donc plus spécifique et en théorie mieux adapté à la description du phénomène; cependant le terme que l’usage a fixé est “glaciotectonique” et nous l’utiliserons dans le reste de ce texte.
La glaciotectonique a laissé des dislocations, plissements superficiels et lambeaux de charriages spectaculaires, qui ont été décrits depuis plus d’un siècle, tant en Europe (Lyell, 1879) qu’en Amérique du Nord (Gilbert, 1899).  Le mécanisme invoqué par les divers auteurs pour expliquer pourquoi à certains endroits le lit sur lequel glisse le glacier se trouve entraîné en masse par le mouvement, plutôt que de subir une abrasion plus conventionnelle implique généralement les facteurs suivants pour les grands lambeaux de charriage de substratum rocheux:
1- La présence de plans de faiblesse; dans les formations stratifiées ce sont des lits peu résistants à faible pendage, permettant le décollement d’un seul bloc de strates supérieures plus monolithiques.
2- L’état gelé du lambeau au moment du charriage; Dellwig et Baldwin (1965) ont avec quelques autres démontré à partir d’études de cas, que les caractéristiques observées indiquent que le substratum, qui se décolle sous la force de cisaillement, est à l’état gelé au moment de cette rupture.
3- Le phénomène est localisé; sur quelques km2 le plus souvent, parfois plus, les strates de la partie supérieure du substratum, présentent des plissements et/ou fractures ouvertes qui indiquent un dérangement non conforme avec le style tectonique normal de la région.
4- Association intime de till dans le lambeau disloqué; on retrouve du matériel glaciaire dans certaines fractures et parfois même sous le lambeau.
Dans la région de Montréal, près d’une dizaine de sites ont été identifiés comme glaciotectonisés.  Stanfield en 1915 déjà décrivait les plus anciens cas rencontrés dans des excavations sur des sites de construction dans le secteur du centre-ville.  Ces cas se rapportaient à des plissements affectant les dépôts meubles, cas qui malheureusement ne sont plus visibles aujourd’hui.




Figure 1.  Les principaux sites glaciotectonisés dans l’Île de Montréal.
Nous analyserons plus spécifiquement dans la suite du texte les autres cas, c’est-à-dire ceux qui se rapportent au substratum rocheux de l’Île.  Ces cas qui ont été reconnus plus récemment et nous avons pu les examiner en détails au cours des vingt dernières années.

Les lambeaux de charriage identifiés dans l’Île de Montréal
La majorité des cas recensés se retrouvent dans le calcaire du groupe de Trenton (figure 1): trois sites se situent dans la formation de Tétreauville, trois dans celle de Montréal.  Un seul cas a été rencontré dans le shale d’Utica.  Cette proportion n’indique en rien une prédisposition du groupe de Trenton pour le phénomène, car sur le territoire de l’Île, la superficie de l’Utica est également beaucoup plus faible.  Nous n’avons pas d’évidences de lambeaux glaciotectoniques sur la rive sud, mais comme il y a moins de sites de construction, cette lacune n’implique pas qu’il ne puisse pas y en avoir.
À l’exception des cavernes à de St-Léonard, qui aujourd’hui sont les seuls cas encore accessibles, la glaciotectonique a été reconnue sur les sites au moment de travaux d’excavation.  Les campagnes de reconnaissance par carottage, et parfois par relevés sismiques, n’ont pas pu identifier à l’avance le phénomène; elles ont pu tout au plus indiquer que les sites comportaient des zones de mauvais roc.
La détermination de l’extension exacte des zones disloquées demeure encore problématique; par exemple, les ouvrages linéaires comme les tunnels de l’intercepteur de la CUM, avenue Fénélon à Dorval, ou avenue Notre-Dame à Montréal, ont recoupé des écailles sur quelques centaines de mètres à peine.  Au Parc Olympique l’excavation principale et les nombreux chantiers environnants nous ont permis de mieux délimiter le phénomène; il s’étend sur près de deux kilomètres.

Dans le suivi des travaux d’excavation, on a pu reconnaître les phénomènes suivants comme résultats du déplacement, sur quelques dizaines ou centaines de mètres, de lambeaux du substratum rocheux: 
 1- des fractures ouvertes, vides le plus souvent, parfois partiellement remplies d’argile ou de till
 2- des zones de mélange variable de strates basculées (à pendage non conforme) avec du till lâche

 3- des strates en plis disloquées, parfois en plis faillés.
L’ensemble de ces phénomènes se retrouvait au site olympique (Ballivy et al., 1977): du coté Viau les fractures ouvertes et les zones de strates basculées, du coté Pie-IX les plissements.  Dans les cavernes à St-Léonard, ce sont des fractures ouvertes de quelques décimètres à quelques mètres qui ont été reconnues.  Au site de Pointe-Claire, des plissements et des strates imbriquées dans le till ont été recoupées par un chantier sur l’avenue Delmar.  Sous l’avenue Fénélon à Dorval et sous la rue Notre-Dame dans l’est, ce sont essentiellement des fractures ouvertes et des blocs disloqués que nous avons pu observer.  Finalement dans le secteur de la station de métro Beaugrand, nous avons décrit des abrupts dans la topographie du roc sain qui sont d’origine glaciotectonique (Durand et Ballivy, 1974).
Dans chacun de ces cas, les lambeaux ont été déplacés par glissement sur un horizon mince (quelques centimètres), très mou et plastique, en remontant son pendage.  Le glissement plutôt que l’abrasion peut se produire quand la poussée glaciaire est en direction opposée au pendage, comme illustré sur la figure 2.  Il y a donc deux conditions essentielles dans la géologie locale pour que l’écaillage glaciotectonique puisse se produire sous la semelle du glacier:
• structure géologique litée, où le pendage descend en direction opposée au mouvement glaciaire,
• présence d’horizons mous sous une tranche de roc résistant, lequel est maintenu rigide et monobloc par le gel sous-glaciaire.

Mécanisme de la formation des lambeaux de charriage
 AVANT LA RUPTURE:
La figure 3 montre une vue détaillée des conditions qui existent au niveau du bas d’une tranche de roc gelé (figure 2a) sur laquelle s’exerce la force de cisaillement engendrée par le frottement du glacier en écoulement.  Nous supposons que l’horizon de glissement (HG sur la figure 3) se développe juste en-dessous de la partie gelée.  Avant le début du glissement, des pressions interstitielles ( u ) très élevées sous la couche gelée, et donc dans l’horizon qui deviendra le plan de glissement, favorisent l’initiation de la rupture; le pergélisol rend pratiquement imperméable le roc au-dessus.  Même s’il y a un certain diaclasage, la perméabilité de fracture est comblée par l’eau qui gèle et colmate ces fissures.  La contrainte qui est transmise par le glacier sur cette base peut, dans le cas limite, faire monter la pression u à des valeurs qui s’approchent de la contrainte normale, annulant presque ainsi cette dernière.

L’horizon HG possède à l’état intact une résistance initiale plus élevée que sa résistance à l’état remanié.  Les conditions de contraintes qui doivent être dépassées pour amorcer le glissement sont:















         Figure 2. Schéma du contact glacier/roc        a) avant la formation de l’écaille
                                                                      b) au moment de la formation de l’écaille

                                   c) Écaille glaciotectonique comme on peut la retrouver aujourd’hui.




Figure 3. Schéma de l’état des contraintes à la base de l’écaille.

AU MOMENT DE LA RUPTURE
Le mouvement de glissement produit:
• un remaniement rapide et complet de la mince couche que constitue le surface de rupture et de décollement; ce remaniement mécanique abaisse au minimum les paramètres  c et Ø de la résistance au cisaillement de cette couche;
• l’écaille est déplacée de façon passablement rigide (à l’état de pergélisol) en un seul, ou en plusieurs grands blocs. Ce déplacement forme des ouvertures vides, qui peuvent être fermées au toit, ainsi que latéralement (figure 5a, 6b et 7);
• le lambeau qui est déplacé en remontant le pendage, doit ainsi subir une contrainte verticale plus importante sous la semelle du glacier (au point B sur la figure 4).
On peut donc supposer qu’au moment où s’amorce l’étirement de l’écaille et l’ouverture des vides, la pression interstitielle chute rapidement; cette baisse de (u) fait augmenter la contrainte effective (sigma’), ce qui tend à limiter la poursuite continue du glissement; du moins pas avant que l’eau ne revienne à nouveau remonter petit à petit la pression interstitielle jusqu’à la valeur critique requise pour permettre la reprise du mouvement.  Le déplacement des lambeaux a produit plus souvent des ouvertures limitées.



Figure 4. Schéma du mouvement de l’écaille et du soulèvement résultant.

La composante verticale du mouvement de l’écaille lui fait subir une pression verticale plus élevée sous la base du glacier (en B sur la figure 4), ce qui augmente dans un premier temps le frottement la contrainte de cisaillement (tau) et la contrainte normale (sigma) dans le plan de glissement et tend même à le stopper.  Mais l’effet de poinçonnement en  B  est atténué progressivement par la propriété de fluage du glacier.  L’écaille qui fait saillie dans la semelle du glacier donne aussi plus de prise à la force de cisaillement horizontal.  Le mouvement peut donc reprendre et s’arrêter selon le jeu complexe de ces divers effets.
L’abrasion et la dislocation d’une partie de l’écaille suit inévitablement son glissement; mais les profils du roc à l’emplacement des écailles glaciotectoniques de l’Île de Montréal, montrent que la partie centrale des écailles demeure en relief de 2 à 5 mètres par rapport au roc avoisinant (figure 5); donc les zones qui subissent l’écaillage glaciotectonique sont surtout formées de roc résistant. Les zones de roc plus faible subissent une érosion glaciaire plus classique.

Figure 5. a) Écaille avec zone plissée en aval (A)  et fractures ouvertes en amont (C et D) ;  cas du Parc Olympique à Montréal

b) Écaille entièrement évacuée par dislocation, (comme à la station de métro Beaugrand).
Dans presque tous les sites, on retrouve des fractures ouvertes qui sont fermées tant en bas qu’en haut, donnant une section rectangulaire.  C’est cette caractéristique essentielle des cavernes de St-Léonard, qui a fait qu’on y a reconnu une origine glaciotectonique et non pas karstique.  Le simple glissement monobloc schématisé sur la figure 4, devrait laisser des fractures entièrement ouvertes vers le haut, remplies par la suite de till ou autre dépôt meuble, ce qui n’est pas le cas général.  La présence des fractures fermées au toit peut être expliquée par chacun des trois modes de formation qu’on peut envisager pour les écailles observées.
• 1- Il peut y avoir une seule phase de décollement, mais avec une surface de glissement qui suit plusieurs interlits mous, comme montré sur la figure 2.
• 2- Il peut y avoir une seule étape de décollement, mais avec des mouvements internes qui débitent et/ou délitent la structure interne de l’écaille, la fracturant en plusieurs grands blocs, dont les surfaces de séparation présentent des discontinuités en échelons (figure 5a)
• 3- Le mouvement d’écaillage d’un glacier en retrait peut imbriquer des écaillages les uns sur les autres dans des étapes successives du recul glaciaire (figure 6).  Ce type de mécanisme est celui qui est le plus souvent évoqué pour la glaciotectonique qui affecte le till.  Il n’y a pas d’évidence qui puisse nous faire privilégier les hypothèses 1 et 3 dans les cas que nous avons relevés à Montréal, mais il y en a une qui nous fait opter pour l’hypothèse 2; elle implique des considérations sur la nature des horizons particuliers qui servent de surface de décollement, ce qui sera discuté plus en détails au point suivant.





Figure 6.  Imbrication d’écailles superposées par leur formation successive lors du retrait du glacier.
Dans le cas d’un décollement en une seule écaille, mais qui se délite et se fracture en plusieurs blocs au cours de son déplacement, on retrouve dans l’écaille en C et D (figure 5a) une zone qui subit un étirement et en B une translation à peu près rigide. L’extrémité A, plus mince et plus friable reçoit la poussée latérale des blocs situés plus en amont du mouvement. Cette partie fait moins saillie sous la semelle du glacier et elle n’est pas trainée avec autant de force que les parties B, C et D; elle encaisse la compression horizontale du bloc B en se rétrécissant par plissement. La partie supérieure du plissement est tronquée par l’érosion. Ce modèle d’écaille est celui qui s’applique le mieux au seul cas qui a pu être étudié dans toutes ses parties, soit l’écaille du Parc Olympique.  Lorsque tout le lambeau se disloque et est incorposé dans le till, on ne retrouve plus que la niche d’arrachement à sa position d’origine (figure 5b).
Les mouvements montrent en plan que les blocs ne subissent pas uniquement une translation pure et simple, mais que les légères rotations qui surviennent, expliquent très bien les observations de terrain; c’est-à-dire que la majorité des fissures ouvertes se terminent en amincissement d’un coté et élargissement de l’autre, jusqu’à une fracture transversale qui marque la fin de l’extension latérale du vide, comme dans l’exemple présenté sur la figure 7. Les fractures qui s’ouvrent font partie du réseau de diaclasage préexistant. Les diaclases perpendiculaires au mouvement sont celles que le charriage ouvre, tandis que les autres servent au coulissage principalement.




Figure 7. Réseau de fractures ouvertes relevées au fond de l'excavation du stade olympique
(vue en plan)
et interprétation des mouvements de dislocation de cette partie de l'écaille (les ouvertures

des fissures ne sont pas à l'échelle de la carte, mais amplifiées de x10).
Les mouvements d’ouverture et de rotation peuvent être en réalité complexes, car variables en deux ou trois niveaux lorsqu’il y a délitage de certaines portions du lambeau (figure 5a).  Toutes ces remarques indiquent combien il peut être difficile de prédire la disposition exacte des vides.  Leur importance pratique pour des travaux souterrains demeure élevée, car ces ouvertures sont la cause de très importantes et très brusques venues d’eau; elles mettent également en cause la stabilité des parois et des voûtes (Durand, 1989).

Caractéristiques des surfaces de décollement
Nous avons examiné en détails in situ, puis échantillonné les horizons mous qu’on a pu observer à la base des écailles. Sous les blocs déplacés, ces couches se présentent comme des silts plastiques ou des brèches argileuses très molles, de couleur grise ou gris verdâtre.  Le remaniement poussé engendré par le cisaillement a sans doute considérablement contribué à rendre molles et plastiques ces surfaces de rupture.  Leur épaisseur varie de 2 à 10 cm, parfois plus lorsque le déplacement a formé des lentilles d’accumulation de matière bréchique.
Les analyses diffractométriques indiquent la présence abondante de minéraux interstratifiés de type illite-smectite avec 20 à 40% de feuillets gonflants, ainsi que de la kaolinite.  Brun et Chagnon (1979) ont publié des résultats d’analyses que confirment nos propres données; elles indiquent une origine volcanique de ces horizons.  En fait les “K-bentonites” comme on les désigne sont connues dans la stratigraphie Ordovicienne de l’est de l’Amérique depuis une trentaine d’années (Lounsbury et Melhorn, 1963).  Elles sont interprétées comme étant des couches de cendres volcaniques (volcanisme pré-Appalachien) contemporaines du dépôt des sédiments calcaires.

Nous avons pu suivre ces horizons en dehors des écailles et dans le prolongement des surfaces de glissement, là où aucun cisaillement ne les a remaniés.  Ils se présentent alors comme des minces lits d’argillite, de 2 à 10 cm d’épaisseur, de couleur gris moyen à foncé.  Un examen détaillé de l’une des ces couches (figure 8) dans une excavation faite à l’usine d’épuration des eaux de la CUM à Rivière-des-Prairies, nous a permis de noter que la couche de 10 cm comporte en fait une demi-douzaine de couches de cendres volcaniques interstratifiées avec du schiste argileux.  Ces couches représentent les phases successives d’un même épisode volcanique, qui débute par une accumulation importante donnant quatre cm d’argillite, suivie de cinq épisodes de moindre importance.





Figure 8. Détail de la structure d’une couche K-bentonite observée dans le Tétreauville.
Par leur origine, composition et propriétés particulières ces horizons, qui passent souvent inaperçus dans les logs de carottes, constituent des surfaces privilégiées sur lesquelles les décollements glaciotectoniques se sont formés dans la région de Montréal.  L’angle de frottement des argiles gonflantes de type montmorillonite est bien plus faible que l’angle Ø qu’on peut mesurer dans les interlits normaux (schiste argileux) du Trenton.  Malgré la difficulté qu’il y a à les identifier par les techniques de carottage usuelles, ces horizons possèdent une caractéristique intéressante à connaître pour les retracer: ils forment des interlits continus sur des centaines de km2;  il est possible de les corréler pratiquement dans tout le bassin Ordovicien des Basses-Terres.  Brun et Chagnon (1979) avaient déjà reconnu huit lits de cendre dans les groupes de Trenton et de Black River.  Nous en avons retrouvé trois autres dans l’Utica.  Nous tentons de compiler toutes les indications sur chacun de ces lits dans les excavations de Montréal;  le compte-rendu de ces recherches en cours fera l’objet d’une publication ultérieure.

Conclusion
Les lambeaux de charriage glaciotectonique ont une importance pratique considérable dans la région de Montréal.  Tous les cas présentés, à l’exception de la caverne de St-Léonard, ont été recoupés de façon fortuite par des travaux de construction qui en ont été fortement perturbés.  Les lambeaux présentent des fractures ouvertes de quelques centimètres à quelques mètres dans la zone d’étirement de l’écaille.  Plusieurs de ces ouvertures sont masquées depuis la surface, ce qui implique qu’une dalle de roc apparement saine en fond de fouille, peut en fait masquer un vide juste en dessous; ce cas s’est présenté dans des travaux de fondation d’immeubles à St-Léonard et au Parc Olympique.  Dans la partie aval des écailles, le roc tend plutôt à être fragmenté, en plissements fragiles; parfois même il est tellement disloqué qu’on ne peut plus faire la distinction avec le passage graduel à du till.  La glaciotectonique a laissé également des dénivellations abruptes de plusieurs mètres dans la topographie du substratum, de sorte qu’il est hasardeux d’interpoler la cote du roc à partir de points de sondage éloignés.
Les décollements de grands blocs de substratum demeurent des phénomènes locaux qui affectent quelques hectares ou quelques km2; ils se retrouvent là où la conjonction de certains facteurs géologiques a permis leur formation.  Les facteurs principaux sont la nature du roc (calcaire de Trenton ou shale d’Utica), la structure du roc en relation avec la direction de l’écoulement glaciaire dans la phase tardive de la dernière glaciation (zones où le pendage est dirigé vers le nord, l’est ou le nord-est), et finalement la présence à une profondeur critique (estimée à <30 m) d’un horizon de K-bentonite, qui joue le rôle de plan de décollement préférentiel pour la partie du roc gelée qui est entrainée par le cisaillement la base du glacier continental.

Références
Ballivy, G, Loiselle, A. et Durand, M. 1977.  Caractéristiques géotechniques du secteur du Parc Olympique, Montréal.  Revue Canadienne de géotechnique, vol.14 , no 2, pp. 193-205.
Brun, J. et Chagnon, A. 1979.  Rock stratigraphy and clay mineralogy of volcanic ash beds from the Black River and Trenton Groups (Middle Ordovician) of southern Quebec. Canadian Journal of Earth Sciences, Vol. 16, N0 7, pp. 1499-1507.
Dellwig L.F. et Baldwin, R.D. 1965. I ce Pushed Deformation in Northeastern Kansas. State Geological Survey of Kansas, Bulletin 175, pt. 2, 16 p.
Durand, M. et Ballivy, G. 1974.  Particularités rencontrées dans la région de Montréal résultant de l'arrachement d'écailles de roc par la glaciation. Revue Canadienne de Géotechnique, vol.11, no 2, pp.302-306.
Durand, M. 1989. La géologie appliquée à la construction des ouvrages souterrains à Montréal. Livret-guide de l'excursion B-7, Congrès du GAC-MAC, Montréal, mai 1989.
Gilbert, G.K. 1899. Dislocation at Thirty Mile Point, New-York. Bulletin on the Geological Society of America, vol. 10, pp 131-134.
Lounsbury, R.W. et Melhorn, W.N., 1963. Clay mineralogy of Paleozoic K-bentonites of eastern United States. Clay and Clay Minerals, 12th Conference, Pergamon Press, NewYork, pp. 557-565.
Lyell, C. 1879. The Antiquity of Man. Murray éd., Londres, 572 p.
Prichonnet, G., Durand, M., Elson, J.A., Gagnon, P., Schroeder, J. et Veillette, J. 1987. Glaciations et déglaciations du Wisconsinien dans le sud duQuébec (région de Montréal). Livret-guide de l'excursion A7/C7 de l'INQUA-87, Ottawa, 53 p.
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Stanfield, J., 1915. The Pleistocene and Recent Deposits of the Island of Montreal. Geological Survey of Canada, Memoir 73, 80 p.